Alors que l’Organisation des Nations Unies (ONU) et ses partenaires égrènent les 16 jours d’activisme en vue de l’éradication de la violence à l’égard des femmes, on apprend que le thème cette année est « Investir pour prévenir la violence à l’égard des femmes et des filles ». Toutefois, la communauté internationale occulte bien souvent une certaine forme de violence sexiste qui sème des ravages en sourdine, tout en compromettant considérablement les perspectives de développement dans des pays.
Pourtant la campagne internationale qui se déroule chaque année, à compter de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (le 25 novembre) à la Journée des droits de l’homme (le 10 décembre), ambitionne de plaider en faveur de la prévention et de l’éradication des violences sur les femmes, dans toutes ses manifestations.
Nous vivons dans un monde façonné par des femmes dont les actions ont laissé une empreinte indélébile sur l’histoire des nations. Permettez-moi d’ouvrir une fenêtre sur Nzinga Mbande, plus connue sous le nom de la reine Nzinga. Au XVIIe siècle, elle a gouverné avec bravoure les royaumes Ndongo et Matamba, situés dans l’actuelle Angola. Son règne est gravé en lettres capitales, marqué par son refus obstiné de se soumettre à la colonisation portugaise.
J’aurais pu également m’inspirer de figures historiques telles que Catherine de Médicis, Golda Meir, ou de personnalités contemporaines comme Margaret Thatcher, Angela Merkel et Ellen Johnson Sirleaf, pour n’en citer que quelques-unes. Le message demeure le même : rendre hommage à des femmes politiques occupant une place de choix dans les annales de l’histoire de l’humanité. Des figures marquantes qui ont démontré bien des fois que lorsque la société leur confie des responsabilités politiques, les orientations stratégiques du pays sont souvent plus inclusives. Il est généralement constaté que les questions sociales et les problématiques de développement humain sont davantage promues lorsque les femmes sont présentes à des postes de décision politique élevés. Une sorte de gouvernance humanisée qui s’accommode bien avec la rigueur.
Malheureusement, en 2023, force est de constater que la réalité est amère. Actuellement, selon ONU FEMMES, seulement 28 femmes exercent les fonctions de chef d’État et/ou de gouvernement, dans 26 pays sur environ 200 États. Au rythme actuel, il faudra encore 130 ans pour atteindre la parité. De plus, seuls 26,5% de tous les parlementaires nationaux sont des femmes.
En 2021, dans un Bénin où le gouvernement a tout de même eu le mérite d’initier certaines réformes visant la promotion de la femme, des machinations politiques orchestrées à mon encontre, par certains acteurs aux lendemains de l’annonce de ma candidature à la présidentielle, ont atteint un niveau de brutalité rare. Au point où de factices échafaudages ont abouti à mon inique incarcération. Une violation flagrante de mes droits civils et politiques, relevée par le Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire (GTDA), qui, dans son Avis numéro 51/2022, a demandé notamment ma « libération immédiate », mon dédommagement et une enquête indépendante pour identifier les responsables de ma situation. Ceci, après que cette instance onusienne ait pointé du doigt une absence totale de preuves.
Mon expérience personnelle que je me contente de survoler pour avoir humainement pardonné et tourné cette page bien que continuant d’en payer le prix très onéreux, est malheureusement symptomatique des obstacles et traitements bestiaux auxquels des femmes, souvent compétentes, sont confrontées, lorsqu’elles s’engagent en politique. À l’instar des tribulations politico-judiciaires rencontrées par le prix Nobel de la paix, l’ancienne dirigeante birmane, Aung San Suu Kyi, embastillée le 1er février 2021 à la suite d’un coup d’État militaire et condamnée à plusieurs décennies d’emprisonnement. Sans surprise, les organismes de défense des droits humains ont qualifié son procès de simulacre et de manœuvre destinée à l’écarter de la vie politique. À l’évidence, l’impact de telles intrigues ne se limite hélas pas à l’individu concerné, mais étend son épaisse ombre sur toutes les femmes qui envisagent une carrière politique.
Une étude menée par ONU Femmes en Inde, au Népal et au Pakistan, souligne le lien direct entre l’intimidation des femmes en politique et la diminution des aspirations politiques des autres femmes et filles. Par exemple, entre 2003 et 2013, plus de 60% des femmes ont choisi de ne pas participer à la politique par crainte de violences potentielles. Les conséquences sont graves, car près de 90% de ces femmes estiment que la violence anéantit leur volonté de s’engager en politique. Cette étude révèle également le rôle crucial des lois spécifiques pour prévenir la violence à l’égard des femmes en politique.
La réalité est que dans le monde entier, s’engager en politique en tant que femme exige bien plus que du courage. Parce que considérées comme audacieuses, nous sommes victimes de traques, harcèlements moraux, propos avilissants, menaces, intimidations, humiliations de tous genres et évictions iniques avec en face de faibles dénonciations. Alors que, la date du 25 novembre retenue par l’ONU en 1999 a été décrétée en mémoire des trois sœurs Mirabal, militantes dominicaines persécutées puis brutalement assassinées sur les ordres du chef d’État tyrannique, Rafael Trujillo. Ce fondement devrait faire émerger du registre des tabous la violence sexiste en politique. Elle n’est que trop souvent noyée par les non moins importantes problématiques de violences conjugales. Tout se passe comme si la société dans son ensemble, médusée, s’accorde à punir les femmes qui osent endosser des challenges militants. Si cela vous indiffère aujourd’hui, pensez aux légitimes ambitions et aspirations de vos filles demain. Les dénigrements en bas de la ceinture et autres insanités déblatérées qui ne volent pas haut, vos filles et petites-filles également les subiront si rien n’est entrepris.
Outre les machinations politiques visant l’élimination des femmes de la conquête du pouvoir, la violence prend également d’autres formes. Tenez, intéressons-nous quelque peu aux violences verbales sexistes qui nous chosifient ou nous restraignent à nos fonctions matrimoniales. Comme celles, par exemple, que j’ai dû affronter pendant la période électorale en 2021. Certains se souviendront de cette bien curieuse déclaration d’un député qui affirmait : « Une belle femme comme ça, c’est comme on le dit des réserves minières d’un pays. Si vous la considérez comme une mine d’or, une très belle femme, inégalable, charmante, à la tête d’un pays, je ne pense pas que vous ayez la paix comme nous en avons actuellement au Bénin. ».
Ou encore dans la même période, cet autre homme politique ordurier qui, de manière diffamatoire, réduisait à des considérations bassement libidinales, tant de labeurs, de sacrifices et de mérites acquis de hautes luttes. Les remarques sexistes à l’encontre de personnalités politiques du genre féminin sont légion dans le monde. J’ai également le souvenir de l’ontologique “Va garder les enfants” asséné à la candidate à l’élection présidentielle en 2007 en France, Ségolène Royal, par un homme politique pourtant allié à son parti, et ce, en pleine campagne électorale.
Les stéréotypes sexistes et les images dégradantes véhiculées dans les médias et la plaie des réseaux sociaux, entretiennent pour leur part cette violence en se focalisant sur l’apparence physique des femmes, leur vie privée très souvent cousue de rumeurs malveillantes et leur conformité aux rôles sociaux traditionnels, plutôt que sur leurs compétences, leurs accomplissements et leur potentiel contributif en tant que leaders. À l’ère du numérique, un nouveau fléau a émergé : la cyber-violence contre les femmes politiques. Hillary Clinton aux États-Unis et l’ancienne Première ministre australienne Julia Gillard ont reçu deux fois plus de tweets abusifs que leurs homologues masculins, Bernie Sanders et Kevin Rudd, respectivement.
La communauté internationale gagnerait à prendre conscience du fardeau que portent les femmes aspirant à jouer un rôle actif en politique, pour le bien-être collectif. La violence envers celles-ci, qu’elle soit physique, verbale ou virtuelle, ne peut être tolérée sous aucun prétexte. Elle constitue un déni des valeurs démocratiques et un mépris de la moitié de l’humanité. Combattre une telle injustice et encourager la participation équitable des femmes à tous les niveaux de la politique ne serait que justice rendue à la planète.
Reckya Madougou