Reckya Madougou, ancienne ministre au Bénin et fondatrice du cercle TeamRM, publie Soigner les certitudes. Elle résume sa vision et avance ses solutions pour l’emploi, l’inclusion financière, l’agriculture.

Propos recueillis par Sami Utique et Nicolas Bouchet

En quoi consiste votre fonction de conseillère spéciale du président du Togo, Faure Gnassingbé ?

Elle consacre une formalisation du travail d’expertise que l’on peut apporter en continu auprès d’un gouvernement ou d’un chef d’État. Mon travail consiste simplement à apporter des points de compétences sur des secteurs bien déterminés, pour en améliorer les résultats.

Le titre de votre livre, Soigner les certitudes – préfacé par le président Macky Sall est tout un programme ! Est-ce un viatique pour l’action ?

Vous touchez du doigt ce que cet ouvrage traite. Pour faire suite à Mon combat pour la parole (2008), préfacé par Christiane Taubira, j’ai pensé qu’il fallait accoucher d’une dialectique de l’inclusion et du minimum humain en Afrique. J’ai la chance d’avoir capitalisé sur mon expérience autour de ce que j’appelle l’inclusion intégrale, c’est-à-dire économique, sociale, politique, culturelle et environnementale… avec un angle à 360 degrés !

Les acteurs de l’économie réelle ont été plus résilients qu’on aurait pu l’imaginer. Beaucoup de TPE n’ont pas disparu, parce que, dans des situations extrêmes, elles ont réussi à s’adapter.

Sans une vision intégrative des approches de développement, on ne peut y arriver. Car on s’en tiendrait à des micro-aspects pour lesquels on obtiendrait des résultats mitigés, parcellaires et qui n’impacteront pas un grand nombre de personnes. Mais si on considère le développement de manière holistique en évitant le saupoudrage, en hiérarchisant les priorités, en touchant tous les secteurs prioritaires, on voit une approche structurelle de fond.

En Afrique, depuis soixante ans, on aime expertiser l’expertise ! Comment opérationnaliser les idées qui jaillissent pour le bénéfice des Africains, dont les besoins ne sont plus à démontrer ?

Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il faut réinventer l’expertise sur le continent. Les compétences existent sur place et dans sa diaspora. Cependant, nous ne faisons pas suffisamment attention aux résultats et encore moins aux impacts, par exemple dans la formulation de nos politiques publiques et des partenariats avec le privé. De très bons résultats chiffrés peuvent cacher des impacts peu pertinents ou intéressants pour les populations ciblées, d’où l’importance de réinventer l’expertise.

Nous nous approprions très peu les mécanismes internationaux ! Je dis cela comme citoyenne du monde et universaliste mais aussi comme apôtre chevronnée des solutions endogènes. Dans les programmes publics et privés que j’ai conduits, ce que j’ai le mieux compris c’est que plus on adapte nos problématiques aux réalités du continent, plus on a de chances de réussir en répondant aux besoins des populations. On a beau dire que l’Afrique est un continent composé, à majorité, d’analphabètes.

Ce sont des personnes qui n’ont pas encore accédé à la culture dans laquelle on souhaiterait les former. Contrairement aux apparences, elles ont des compétences, des qualifications, apprises sur le tas, dans de nombreux de domaines. En bref, à nous qui sommes supposément des élites, il nous appartient d’associer les communautés de base à l’élaboration de nos politiques publiques et à la réalité de leur exécution.

De là découle la notion d’inclusion sur laquelle je travaille. L’approche de la gouvernance participative, que je plaide partout en Afrique, permet l’inclusion et, en bout de chaîne, permet aux acteurs ayant contribué à la production de richesse nationale d’en attendre les bénéfices et les fruits.

Pourquoi alors avoir attendu 2020 pour enfin aborder ces problèmes de fond ? Les enjeux de transformation sont majeurs en Afrique, alors par où commencer ces chantiers ?

Je ne crois pas que le continent a attendu 2020 ! Même si l’on est afro-pessimiste, on sait que des initiatives heureuses ont été prises sur le continent. Elles ont fait leurs preuves et peuvent encore changer d’échelle pour améliorer leurs impacts. C’est vrai, nous avons perdu beaucoup de temps dans plusieurs aspects moteurs pour le continent : l’agriculture par exemple. Elle constitue notre plus bel atout or nous sommes le continent qui exploite le moins ses terres arables et leurs opportunités. Nous avons perdu beaucoup de temps à ce sujet.

S’il y a eu des réformes agraires, des programmes de mécanisation de l’agriculture, avec des résultats mitigés. Il est temps de penser l’agriculture autrement. J’ai eu l’honneur d’accompagner au Togo l’intégration de l’agriculture, à travers la chaîne de valeur agricole. En schématisant les étapes de l’agriculture, préparation de la terre, ensemencement, mise en terre des pépinières, culture et récolte…, l’intégration consiste à  s’occuper de la filière de bout en bout. On obtient de meilleurs résultats car on cultive en tenant compte des attentes du marché.

On ne se contente plus de se dire, par exemple, que le maïs marche bien sur une terre, ce qui amène à en consommer une partie et en perdre l’autre si on en a trop produit. Il faut aussi adapter les besoins à chaque maillon de la chaîne, ne pas se contenter de leur apporter seulement un appui technique ou financier.

source: magazinedelafrique.com